pages 113 et 114 du succulent livre "JUPONS ET HAUTS-DE FORME"
écrit par HERVÉ LAUWICK en 1964  sous-titré "1900 et ses secrets"
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           J'ai également connu les frères Isola, très célèbres à cette époque. Deux gentils gaillards, très naïfs, et plus drôles comme hommes que comme illusionnistes.
          « L'important avait dit Vincent Isola, à Émile, son frère, en arrivant de Marseille, c'est de nous faire remarquer. Il faut être stupéfiant. Si tu n'épates pas les Parisiens, ils ne te regarderont pas...
          « Alors, avant de quitter Marseille, ils sont allés dans un décrochez-moi ça du cours Belzunce, où les complets étaient présentés piqués sur de larges tables garnies de papier, pour qu'on en voie bien leur forme, qui était celle d'une fleur. (Ces complets n'étaient portés que par les apaches, tous les voyous marseillais s'habillaient en forme de fleurs.) Les Isola péchèrent là-dedans quelque chose d'assez digne, et plantèrent des clous dans les allées des arbres de Meilhan; puis ils accrochèrent ces complets à des platanes pour voir de loin quelle allure ils auraient... Je n'ai jamais connu personne d'autre qui se soit habillé par cette méthode.
         « Arrivé à Paris, Vincent apprit que la population de la ville avait augmenté, et Émile répondit tranquillement « Ce n'est pas étonnant; nous rouvrons l'Olympia !»
Grand-mère sourit :
        — Mais racontez-lui l'histoire de l'escalier ?
      Ah! Oui, ce fut leur plus beau trait d'astuce, vraiment bien digne d'un illusionniste! Ils habitaient un affreux galetas à Belleville, et se faisaient adresser leur courrier chez un concierge de la rue de la Paix. Ils étaient supposés habiter le cinquième, «sans ascenseur», disaient-ils, pour éloigner les embêteurs. Alors, quand un homme d'affaires venait leur rendre visite, ils attendaient, tapis, bien cachés, sur le balcon du cinquième, et dès qu'ils entendaient le bonhomme de¬mander au concierge, leur complice, l'adresse de MM. Isola, ils clamaient par-dessus la rampe, en dégringolant dans l'escalier : « Nous venons à votre rencontre ! Allons n'importe où, au café, parce que la maison est pleine d'ouvriers... »
        « C'est Sacha Guitry qui m'a raconté cette histoire. Et en voilà une autre plus touchante encore.
       « A la fin de sa vie, il a eu l'occasion de rendre service aux frères Isola. Ces deux pauvres naïfs étaient tombés dans la misère. Alors ils vinrent, chez lui, un soir, lui faire une visite cérémonieuse. Il se demandait bien où ils voulaient en venir, et les deux braves gens, pour lui ouvrir leur cœur, pour montrer quelle confiance ils avaient en lui, expliquèrent le truc (connu de tous) qui consiste à mettre une femme dans une boîte et à percer la boîte à coups de sabre.
Ils repartirent tout contents, et Sacha les regarda s'éloigner, touché aux larmes.