vu par Paris Soir
     
Source Gallica
La Une du Figaro le samedi 8 octobre 1936
 
     

---- Avant-hier sur le coup de minuit, Emile et Vincent Isola sont redevenus les prestidigitateurs dont s'émerveilla notre enfance. Soirée triomphale où se mêlait pour eux à la mélancolie des vieux souvenirs, l'émotion d'une jeunesse retrouvée.
---- C'est un cas sinon unique du moins très rare de revenir en arrière à une époque où l'on ne
songe qu'à aller de l'avant. Il faut plus de courage encore que de philosophie pour s'y résigner. Peu de gens, en effet, dans la foule indifférente, sont susceptibles de comprendre ce qu'un tel sacrifice comporte d'espoirs, déçus, de secrètes amertumes et de sentiments froissés.
---- Nous étions, dans la salle, quelques-uns on n'ose pas les compter qui évoquions les péripéties de l'étonnante carrière des « frères » Isola. Nous nous rappelions cette petite scène des Capucines où derrière une table recouverte d'un tapis de velours ils faisaient pleuvoir des pièces de cent sous dans un chapeau de soie et escamotaient des spectateurs qui s'étaient prêtés au rôle de comparses. Et quel public Des têtes bouclées, des mères ravies et des vieux messieurs au milieu desquels surgissait parfois la puissante carrure de Lucien Guitry; il accompagnait un petit garçon qu'il appelait Sacha.
---- Mais dans l'exercice de leur métier, ces distributeurs d'illusions avaient fini par concevoir des ambitions plus hautes. Ce n'était pas pourtant la grande aventure parisienne qui les attirait ce qui les tentait, c'était d'expérimenter au théâtre leurs facultés d'illusionnisme, de réaliser des mises en scènes somptueuses, de parer le manteau d'Arlequin de toutes les fantaisies de leur imagination.
---- Ils étaient hardis, ils avaient du goût ils allaient, pendant quarante années, diriger successivement plus de trente scènes et y dépenser sans compter leur énergie, leur ingéniosité et leur fortune. On les aimait parce qu'ils étaient généreux, pitoyables et justes. Dans ce
monde des théâtres où souvent l'âpreté des envieux ne pardonne pas au succès, ils avaient trouvé le moyen se souvenant peut-être qu'ils avaient été prestidigitateurs de se glisser à travers les mailles de la méfiance, de la jalousie et de la rancune. Tenir la rampe pendant plus d'un demi-siècle est un métier dur pour peu que les catastrophes économiques s'en mêlent. Aussi, un beau matin, Emile et Vincent se retrouvèrent-ils face à face comme jadis, sur un banc des Tuileries, en se demandant « Que faire ? » La crise du théâtre les avait ruinés.
---- Ils se souvinrent alors du petit garçon qui, autrefois, les applaudissait avec tant de ferveur au théâtre des Capucines.
- Allons consulter Sacha, dirent-ils.
Sacha n'hésita pas :
- Si mon père, qui vous appréciait, vivait encore, leur répondit-il, il vous dirait : Revenez à votre premier métier, vous y trouverez encore des satisfactions et des succès; puis vous aurez quarante ans de moins !
---- Les Isola se récrièrent. Reprendre la fameuse baguette, les trucs démodés, créer l'illusion quand on n'en veut plus, retrouver la souplesse, la rapidité, le « bagout » indispensables. Impossible.
- Réfléchissez, insista l'auteur de Mozart, décidez-vous et repassez.
---- Lorsque les Isola furent revenus de leur stupeur et de leur effroi, ils jugèrent sagement que le conseil de Guitry n'était pas, après tout, si fou qu'il leur avait semblé d'abord. Ils retournèrent donc chez Sacha qui jouait à ce moment Mon père avait raison, au théâtre de la Madeleine.
Ils se présentèrent un peu émus dans sa loge.
- Sacha, votre père avait raison, leur annoncèrent-ils.
- Bravo ! Travaillez pendant quelques mois et laissez moi faire je serai votre parrain.
Les frères Isola se mirent à l'œuvre. Ils se passionnèrent pour leur métier retrouvé et réussirent à découvrir des numéros inédits. Désormais ils vont reprendre la vie errante des donneurs d'illusion. Je ne connais pas d'histoire plus émouvante ni plus pathétique.

René Lara


souce Gallica

        C'est un gala qui n'a déçu personne : c'est rare. Et Sacha Guitry qui le composa et s'y dépensa peut être fier d'avoir réussi à ressusciter un des plus beaux soirs de Paris, un de ces soirs brillants où les femmes avaient le souci d'être belles et admirées, où les hommes prenaient le temps de ne point négliger leur tenue.
                Lorsque se leva le rideau, la scène de l'A.B. C. présentait à la fois, sur deux rangs, assis et debout, tout ce que le théâtre et le music-hall comptent de vedettes. Tous portaient sur le visage un masque qui, à vrai dire, ne trompait personne et qu'ils retiraient à l'appel de leur nom.
           Et Sacha, assisté de Jacqueline Delubac, qui faisait ingénument jaillir des fleurs d'un plateau, commença de créer l'illusion. Ses tours de passe-passe, il les faisait avec un art qui semblait le surprendre lui-même.
— C'est à ne pas croire, disait-il en faisant disparaître un mouchoir ou une pièce de cent sous, une véritable, un objet bien rare.
                    A CHACUN SON « TOUR »
       Et c'est ainsi que Max Dearly, dont l'orchestre couvrait à dessein la voix, fit tomber dans un seau, puis passer dans un autre, des pièces mystérieuses. C'est ainsi que Pauley, armé d'une casserole à couvercle, transforma un bout de fourrure en deux petits lapins, renversant l'ordre naturel des métamorphoses. C'est ainsi que Saint-Granier, utilisant comme médium Marguerite Moreno — ou plutôt Mme Morenoski — transmit sa pensée dans l'espace. Touchant l'épaule d'une spectatrice, il demanda à sa voyante qui elle était.
— Je vois, répondit Mme Morenoski, des paillettes, des paillettes, des plumes, des plumes.
— Vous ne voyez pas un escalier ?
— Oui, un escalier, des escaliers, des quantités d'escaliers.
        Je n'ai pas besoin de vous dire que cette spectatrice était Miss.
      Victor Boucher expliqua, lui, ce qu'il aurait fait s'il avait eu ses accessoires. Jean Weber, qui pourrait faire en professionnel ces tours de magie blanche, sut joindre l'adresse la plus exacte à la plus charmante élégance. Dorville et Parisys, Gaby Morlay, Pauline Carton, Rosine Deréan, Arletty dans un ravissant costume d'Eaton jouèrent miraculeusement de la baguette magique.
Et Maurice Chevalier jongla tout en blaguant tout en disant ce que d'après lui les autres auraient pu faire pour pousser l'originalité jusqu'à ses limites. Puis la musique attaquant en sourdine, il chanta quand même Quand un vicomte, bien qu'il eût promis de ne pas chanter. Et puis naturellement la salle ne voulut plus le laisser partir, alors il chanta Prosper.
       Mayol aussi chanta. Il m'avait dit la veille:
— Puisqu'il faut faire un tour, j'escamoterai mon toupet.
Mais sans doute, après l'avoir fait disparaître, les Isola le lui avaient-ils replacé subrepticement sur la tête, car il l'avait.
         Tristan Bernard improvisa un quatrain avec comme rimes : Patrie, arrivé, tyrannie, levé.
Et ça ne ressemblait pas du tout à la Marseillaise, mais il paraît que c'était un peu truqué d'avance.
Fréhel, Damia et Missia, en chanteuses des rues, entonnèrent en chœur : "Sois bonne, ô ma chère inconnue", sous une pluie de pièces d'argent qui tombaient d'un peu partout.
                 LES ISOLA
          Et enfin les Isola parurent avec l'émotion qu'on devine et qu'ils ne cherchaient pas à dissimuler. Ils firent leurs tours dont je ne parlerai pas puisque vous les verrez bientôt sur cette même scène. Émile et Vincent ainsi que Mme Vincent Isola, leur gracieuse aide, ont reçu cette nuit, en plein visage, le souffle chaud, ardent et généreux d'un public qui n'a rien oublié des belles heures qu'il leur doit.
        Que dire de la salle, sinon qu'on y reconnaissait les visages familiers de ceux qui font les grands soirs de Paris ? Je ne peux que citer au hasard Marie Lecomte, Marguerite et Jenny Carré, Huguette Duflos, Diana, Blanche Montel, Marie Bell, Jean-Pierre Aumont, Claude Dauphin, Maurice Escande, Robert Trébor, Henri Varna, Max Maurey et encore André Magre, secrétaire général de la Présidence de la République et M. Jean Prouvost, directeur général de Paris-soir.
         A 3 h. 1/2 du matin, le rideau tomba. Il ne s'agissait plus que de faire disparaître le public et apparaître les taxis.
                                                                                                                                 JEAN BAROIS.