Source Gallica
 

Le Journal du 13/10/1903


     PARIS QUI CHANTE, REVUE EN TROIS ACTES ET DOUZE TABLEAUX
               de MM. Monréal et Blondeau décors de Mennessier, costumes dessinés par Gerbaud, musqué arrangée par M. Domergue.
            Je viens de rencontrer un homme ébloui et ravi : c'est un gentleman, londonien de passage dans notre capitale, qui sortait de la première de l'Olympia, sir Alfred W... Son flegme britannique n'avait pu résister à l'émerveillement de cette inoubliable soirée qui consacre la réouverture de la grande saison parisienne. « D'abord, me dit-il, j'ai vu tout Paris, une réunion d'élégances aristocratiques à faire pâlir le souvenir des chambrées les plus sélect de l'Empire et de l'Alhambra et vous savez pourtant que, pour le luxe et la fashion, nous sommes difficiles. Puis le spectacle ! On m'avait bien dit que les frères Isola étaient de grands magiciens : cette revue, Paris qui Chante (voir), est tout simplement extraordinaire. Jamais Monréal et Blondeau n'avaient fait étinceler un parisianisme aussi spirituel, jamais l'art du décor n'avait été poussé aussi loin que dans ces douze tableaux où Ménessier a fait des miracles. Venez, il y a surtout la féerie des Pêcheurs de lune, inspirée par le passage bien connu du discours de M. Rostand à l'Académie : eh ! bien, c'est beau comme un rêve de notre Shakespeare réalisé, c'est du grand art. Et cette fête militaire à Londres ; je me croyais vraiment au couronnement de notre bien aimé roi Édouard VII. Et cette apothéose de la fin, le Palais des joujoux. Peut-on montrer plus de fantaisie, de richesse de couleur, de science des effets ? C'est prodigieux. Il y a aussi les costumes, dessinés par Gerbault, et exécutés par Pascaud. J'ai remarqué le groupe des dentelles, un tourbillon de brumes légères et chatoyantes à travers lesquelles transparaissent les visages et les épaules blanches des exquises ballerines : c'est idéal. Splendid, wonderful!
          Je vous parle d'abord de la mise en scène, parce que c'est ce qu'un Anglais admire pardessus tout. Mais l'interprétation, cher monsieur ! Quelle belle artiste que cette Germaine Gallois, avec son charme de blonde, son entrain, sa gaieté, sa voix délicieuse ! Avec quelle grâce et quelle autorité à la fois elle tient la scène ! Elle est deux fois irrésistible, comme femme et comme comédienne ! Quel joyeux et parfait comique que son compère Regnard, qui mène si rondement la revue. J'ai retrouvé, à l'Olympia, trois de nos grandes artistes, Sarah, Réjane, Yvette Guilbert, dans la seule Mlle Célia Galley, qui les imite avec une puissance d'illusion stupéfiante. Mlle Augusla Pouget, ravissante, chante comme un rossignol. Ce Vaunel en Baron, et Souza en Rechamouski, il est impayable ! Le ténor Damtrine chante délicieusement : Brunes et Raiter, l'un en empereur du Sahara, l'autre en poivrot, m'ont fait pleurer de rire, moi qui suis Anglais. La danseuse Alexia et son partenaire Orfes sont uniques. Quant à la Motogirl, cette poupée vivante ferait une révolution à Londres ; il en sera certainement de même à Paris, c'est un clou de première grandeur que tout le monde voudra voir.
            Mlles Janssen, Doi, Perrin, Margyll sont bien jolies et non moins bien disantes. Enfin, que voulez-vous que je vous dise ! Je suis sorti de l'Olympia absolument ahuri par toutes les magnificences que je venais d'y voir, et je vous avoue franchement que je ne m'attendais pas à trouver de pareilles merveilles de l'autre côté de la Manche : on a beau être jingoë, la vérité est la vérité. Nous n'avons rien de semblable à Londres. Paris qui chante fera faire des recettes formidables aux frères Isola et ce sera justice. »
            Et sir Alfred W... m'a quitté. En s'en allant, il monologuait encore. On m'a dit qu'il avait retenu sa loge au mois : ce n'est que prudence.
                                                                                                                          M.