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PARIS QUI CHANTE, REVUE EN TROIS
ACTES ET DOUZE TABLEAUX
de
MM. Monréal et Blondeau décors
de Mennessier, costumes dessinés par Gerbaud,
musqué arrangée par M. Domergue.
Je viens de rencontrer un homme ébloui et ravi : c'est
un gentleman, londonien de passage dans notre capitale, qui sortait de
la première de l'Olympia, sir Alfred W... Son
flegme britannique n'avait pu résister à l'émerveillement
de cette inoubliable soirée qui consacre la réouverture
de la grande saison parisienne. « D'abord, me dit-il, j'ai vu tout
Paris, une réunion d'élégances aristocratiques à
faire pâlir le souvenir des chambrées les plus sélect
de l'Empire et de l'Alhambra et vous savez pourtant
que, pour le luxe et la fashion, nous sommes difficiles. Puis le spectacle
! On m'avait bien dit que les frères Isola étaient
de grands magiciens : cette
revue, Paris qui Chante (voir),
est tout simplement extraordinaire. Jamais Monréal
et Blondeau n'avaient fait étinceler un parisianisme
aussi spirituel, jamais l'art du décor n'avait été
poussé aussi loin que dans ces douze tableaux où Ménessier
a fait des miracles. Venez, il y a surtout la féerie des
Pêcheurs de lune, inspirée par le passage bien connu
du discours de M. Rostand à l'Académie
: eh ! bien, c'est beau comme un rêve de notre Shakespeare réalisé,
c'est du grand art. Et cette fête militaire à Londres ; je
me croyais vraiment au couronnement de notre bien aimé roi Édouard
VII. Et cette apothéose de la fin, le Palais des joujoux.
Peut-on montrer plus de fantaisie, de richesse de couleur, de science
des effets ? C'est prodigieux. Il y a aussi les costumes, dessinés
par Gerbault, et exécutés par Pascaud.
J'ai remarqué le groupe des dentelles, un tourbillon de brumes
légères et chatoyantes à travers lesquelles transparaissent
les visages et les épaules blanches des exquises ballerines : c'est
idéal. Splendid, wonderful!
Je vous parle d'abord de la mise en scène, parce que c'est ce qu'un
Anglais admire pardessus tout. Mais l'interprétation, cher monsieur
! Quelle belle artiste que cette Germaine Gallois, avec
son charme de blonde, son entrain, sa gaieté, sa voix délicieuse
! Avec quelle grâce et quelle autorité à la fois elle
tient la scène ! Elle est deux fois irrésistible, comme
femme et comme comédienne ! Quel joyeux et parfait comique que
son compère Regnard, qui mène si rondement
la revue. J'ai retrouvé, à l'Olympia, trois de
nos grandes artistes, Sarah, Réjane,
Yvette Guilbert, dans la seule Mlle Célia
Galley, qui les imite avec une puissance d'illusion stupéfiante.
Mlle Augusla Pouget,  ravissante,
chante comme un rossignol. Ce Vaunel en Baron, et Souza
en Rechamouski, il est impayable ! Le ténor Damtrine
chante délicieusement : Brunes et Raiter,
l'un en empereur du Sahara, l'autre en poivrot, m'ont fait pleurer de
rire, moi qui suis Anglais. La danseuse Alexia et son
partenaire Orfes sont uniques. Quant à la Motogirl, cette
poupée vivante ferait une révolution à Londres ;
il en sera certainement de même à Paris, c'est un clou de
première grandeur que tout le monde voudra voir.
Mlles Janssen, Doi, Perrin,
Margyll sont bien jolies et non moins bien disantes.
Enfin, que voulez-vous que je vous dise ! Je suis sorti de l'Olympia
absolument ahuri par toutes les magnificences que je venais d'y voir,
et je vous avoue franchement que je ne m'attendais pas à trouver
de pareilles merveilles de l'autre côté de la Manche : on
a beau être jingoë, la vérité est la vérité.
Nous n'avons rien de semblable à Londres. Paris
qui chante fera faire des recettes formidables aux frères
Isola et ce sera justice. »
Et
sir Alfred W... m'a quitté. En s'en allant, il
monologuait encore. On m'a dit qu'il avait retenu sa loge au mois : ce
n'est que prudence.
M.
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