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Au
bénéfice
des frères Isola
et sous la conduite de Sacha Guitry
une éblouissante constellation
de vedettes a paru au Gala
"
A chacun son tour...qui a eu lieu hier soir au Théâtre de
l'A.B.C.

« Deux petits garçons, partis
d'une
base
A du
triangle — Blidah — sont
! arrivés au sommet B — Paris, ils ont laissé 36 millions à l'Assistance
Publique, et sont redescendus à l'autre base C ; c'est pour cela que nous
sommes ce soir à l'A. B.C.»
C'est par cette figure symbolique et géométrique que Sacha
Guitry expliquait, hier soir, le but du gala qu'il avait organisé au bénéfice
des frères Vincent et Emile Isola, restés sans ressources après
avoir dirigé treize théâtres de Paris et avoir dépensé leur
dernier sou pour essayer de sauver de la débâcle le théâtre Sarah-Bernardt, leur ultime exploitation. On ne s'adresse jamais en vain à la
charité des Parisiens, surtout lorsque le solliciteur est Sacha Guitry,
magicien aussi habile à organiser un merveilleux spectacle qu'à remplir
une salle élégante de personnalités éminemment
brillantes. Dès minuit, de l'orchestre aux galeries, des loges àu
promenoir, l'A. B. C. regorgeait de monde ; on admirait les renards argentés
de Mistinguett, la blondeur d'Huguette Duflos, le galbe de Diana ; Jean-Pierre Aumont et Claude
Dauphin escortaient Blanche Montel, à la cape d'hermine
liliale, Marie Lecomte consultait son programme.Mais le rideau se lève
: un groupe de personnages masqués apparaît : à l'appel
de son nom par Sacha Guitry, chacun enlève son loup et les applaudissements
crépitent ; voici, en effet, réunis pour cette soirée
unique, Jacqueline Delubac, Moreno, Diana,  Fréhel, Missia, Pauline
Carton,
Gaby Morlay, Parisys, Arletty, Jacqueline
Francel, Boucher, Saint-Granier,
Chevalier, Mayol, Tristan Bernard, Dorville, Jean
Weber, Max Dearly, Pauley,
Michel Simon, Dalio et j'en passe !
Sacha Guitry possède
en Jacqueline Delubac une assistante délicieuse
et experte à faire jaillir un bouquet de fleurs roses ou bleues d'un
plateau honnêtement à ressort ; Sacha manie les anneaux, les jeux
de cartes, les mots d'esprit ; et sa mimique de prestidigitateur est géniale.
Tristan Bernard doit faire un bout rimé avec ces quatre mots cueillis
dans le public : patrie, arrivé, tyrannie, levé,
C'est pénible, à 70 ans,
murmure-t-il ; ça
me rappelle mes souvenirs militaires ; j'étais dans les dragons ;
Je
devais servir ma patrie,
Le
moment du réveil
arrivé,
Je
me soumettais à cette
tyrannie,
Mais
j'étais
le dernier levé !
Arletty, en éton, Max
Dearly, illusionniste aphone sous le tapage de l'orchestre, Pauley, qui annonce
doucement. « Je
ne sais pas vous faire un tour, je vais vous faire un miracle ! », se
succèdent
; et puis voici Mayol, au toupet blanc, mais aux gestes, à la voix, à l'allure
plus jeunes que jamais ; « Cousine » et les « Mains de Femmes » recueillent
leur salve habituelle de bravos enthousiastes.
Saint-Granier possède
en Mme Morenowski un médium
merveilleux « déjà en
léger état d'hypnose », nous annonce-t-il ; Huguette
Duflos et Mistinguett voient leur passé révélé, leurs
succès reconnus.
Boucher fut merveilleux : regrettant
une boîte
magique que sa femme de chambre avait oublié d'apporter, il jongla avec
des plombs de chasse... aussi illusoires ; Damia, Fréhel et Missia, robes
noires et écharpes écar-lates,
nous « poussèrent » « Sois bonne, ô ma chère
inconnue ! » et furent arrosées de pièces de monnaie.
Le numéro
de Jean Weber, admirablement présenté et
exécuté,
remporta un succès considérable ; Parisys et Gaby Morlay nous
firent deux gentils petits tours, cependant que Dorville ne pouvait terminer
l'omelette qu'il essayait de confectionner dans le chapeau claque de Trébor.
Chevalier, notre Chevalier en smoking et canotier, Chevalier qui nous chanta « Quand
un vicomte » et « Prosper » faillit faire crouler la salle
sous les applaudissements ; et Michel Simon et Pauline Carton, cocasse accouplement,
terminèrent l'étincelant « A chacun son tour ».
Après la tombola — où, à la joie de l'assistance,
un représentant du Colisée gagna un souper chez Maxim's — les
frères Isola présentèrent leur numéro.
 Prodigieux d'habileté, de rapidité,
de finesse d'exécution,
le numéro de la « cabine mystérieuse », où la
jolie Mme Vincent Isola est escamotée comme une muscade minuscule, enchanta
le public en réveillant, chez quelques-uns, de vieux et bons souvenirs.
Et l'on salua de
longs bravos, au départ,
les deux héros
du gala et Sacha Guitry, animateur prestigieux du spectacle !
Roger
Lefébure
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