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Les
frères Isola ne
sont plus ! Une congestion pulmonaire vient d’emporter l’aîné Emile, à l’âge
de 84 ans. Nous ne reverrons donc plus le fameux tandem si parisien des
deux doyens des directeurs de théâtre. Il y a en effet soixante-trois
ans que les deux fils du cafetier-tailleur de Blida eurent l’audace
d’inaugurer leur première direction. Emile avait vingt-ans
et Vincent dix-huit ! Dans
leur ville natale, ils avaient rencontré,
avant de s’embarquer pour la France, le fameux prestidigitateur
Bosco, dont les tours les avaient enthousiasmés. L’illusionniste
leur ayant dévoilé quelques uns de ses trucs , ils avaient
décidé de marcher sur ses traces et ils avaient quitté le
café paternel. Comme il fallait vivre, ils étaient arrivés à Marseille,
le premier menuisier et le second mécanicien ! Tout de suite ils étaient « montés » vers
Paris comme on disait alors, et dans la capitale ils avaient été embauchés
par l’entrepreneur chargé des travaux du Crédit Lyonnais.
C’était en 1880. Mais ils n’avaient pas encore renoncé à l’escamotage, économisant
sou par sou pour acheter des accessoires. Le jeudi, ils passaient dans
les écoles, et faisaient la tournée des cafés. Un
beau jour, c’était en 1882, les frères Isola louaient
donc la petite salle de la rue Lancry. Tous deux apparaissaient en habit
et le chef couvert d’un superbe haut de forme. Dés le premier
soir, Vincent rata deux de ses tours et Emile un. Aussi furent-ils copieusement
sifflés et leur gibus aplatis.
Cependant, ils
ne voulurent pas renoncer et se mirent à tourner
en province, ayant la précaution d'apposer à l’entrée
de la salle où ils se produisaient, cet avis : «
M.M Isola font
savoir que les sifflets sont considérés comme des applaudissements ».
Bien
des fois il leur arriva encore de fâcheux
incidents. Ainsi à l’Alcazar d’Amiens,
où Guillaume
Tell personnifiait Vincent, armé d’une
arbalète lançait une flèche qui, soutenue et guidée
par un fil d’acier invisible devait couper en deux une pomme posée
sur la tête du fils du héros, en l'occurrence Emile isola. Or,
la flèche glissant mal sur son fil s’arrêta au milieu
de sa trajectoire et resta suspendue entre les deux prestidigitateurs ! Le
succès devait finalement récompenser la persévérance
des deux frères. En 1886, ils étaient engagés aux Folies-Bergères
et, en 1892, ils prenaient la direction de la salle des Capucines où,
durant cinq années, ils allaient être à la fois les directeurs
et les deux seuls acteurs, y présentant, d'étonnantes attractions,
comme « Le Chapeau qui parle »; « Le Piano
magnétique », « Le
mystérieux Caucasien » , « Les Cerveaux siamois » ;et,
surtout, «l’ Isolisme », escamotage d'une dame
blonde! Durant une trentaine d'années, la chance devait sourire aux
Isola qui, en 1897, achetaient Parisiana-Concert où ils donnèrent
des opérettes et des revues, avant de réaliser le trust du
café-concert.
En 1898, les, frères Isola, outre
Parisiana, devenaient directeurs de l'Olympia où, en 1900, ils firent des
recettes colossales avec Frégoli.
Puis, en 1902, Ils prenaient les Folies-Bergère en attendant de fonder en
1903, la Gaîté-Lyrique,
et de créer à Monte-Carlo le Casino Beausoleil. Au départ d'Albert
Carré,
ils obtenaient la direction de l'Opéra-Comique. Mais là, ils n'étaient plus
libres de déployer le même faste qu'aux, Folies-Bergère. Aussi: abandonnèrent-t-ils
la salle Favart, pour leur huitième direction au Théâtre Mogador, où ce furent
les succès de « No No Nanette », de « Rose-Marie » et de « L'Auberge
du Cheval Blanc ». Hélas ! le four de « Surcouf » et l’exploitation déficitaire du
Théâtre Sarah-Bernhardt furent pour eux un coup fatal. Il y a deux ans, après
avoir recommencé leurs tours, ils devenaient directeurs du théâtre Pigalle.
C’était leur onzième fauteuil. Maintenant, Emile est mort ! Sans doute verra-t-on
encore Vincent remonter les Champs-Elysées, le monocle toujours vissé à l’œil
et bombant orgueilleusement le torse ! Mais les frères Isola, les deux « siamois » du
théâtre, dont Sem nous a laissé une spirituelle silhouette
en Y, ne sont plus.
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