Ils sont rares
aujourd'hui, les Parisiens qui se souviennent des soirées miraculeuses
des Capucines, au temps où les frères Isola sollicitaient
avec une habileté suprême qui n'appartenait qu'à eux,
l'étonnement admiratif des spectateurs et créaient ce qui,
dans la vie quotidienne, paraît nous manquer le plus: de l'illusion.
C'est à une de ces soirées, magistralement organisée
par Sacha Guitry, un autre magicien, expert en l'art d' improviser un
programme capable d'éblouir un Tout-Paris qui se dit blasé
et qui au fond, possède encore l' enthousiasme merveilleux de la
franche jeunesse, que l'élite du monde ,que les Parisiens généreux
et pressés d'assister à un spectacle dont on parlera longtemps,
avaient été conviés.
Dès minuit et demi ,la salle du Théâtre de l'A.B.C
est comble. C'est là le public habituel des grandes soirées.
Malgré le froid, dehors, les robes les plus coquettement décolletées
attestent que la mode à Paris se rit des saisons. L'atmosphère
est tout de suite créée. Dans les couloirs, il n'est question
que des héros de l'occasion, les frères Isola qui, après
avoir mesuré l'ironie de l'existence et la fragilité des
certitudes humaines, vont remonter sur la scène et tenter la crédulité
des admirateurs. On cite cet aveu de Sacha Guitry: "Sans eux, aurait
-il affirmé, je n'aurais sans doute jamais écrit l'Illusionniste.
Il est près d'une heure quand le spectacle commence.
ET quel spectacle ! Les plus célèbres vedettes de Paris
ont offert leur talent,leur réputation, à la réussite
de ce gala inoui. Des noms? J'ai tellement peur d'en omettre un seul.
Des tonnerres d'applaudissements saluent l'entrée en scène
de Sacha Guitry, de Tristan Bernard, de Victor Boucher, de Maurice Chevalier,
de Damia, de Max Dearly, de Fréhel, de Mayol, de Marguerite Moreno,
de Gaby Morlay, de Pauline Carton, d'Arletty, de Jacqueline Delubac, de
Jean Weber.
Mais, visiblement, le public attend le "clou" de la soirée,
et il trépigne quand on annonce les frères Isola. Pendant
plusieurs minutes, ils sont l'objet d'une ovation étourdissante.
Les anciens rois de Paris ne peuvent dissimuler leur émotion et
retenir leurs larmes.
L'instant est réellement passionnant.Voici qu'ils "redébutent".
Quatre numéros vraiment sensationnnels sont impeccablement réussis.
De l'assistance s'élèvent des "oh!" et des "ah!"admiratifs.
On n'était plus habitués à ce genre de spectacle,
au demeurant si captivant et si près de l'imagination.
"Nous sommes des enchanteurs illusionnistes ,m'avaient dit les frères
Isola avant d'entrer en scène. Ne croyez pas que nous allons faire
des tours de cartes!"
Le public est cloué sur place quand Vincent Isola réussit
à escamoter son frère, assis près de lui, et à
le faire apparaître aussitôt installé dans la salle.
Mais les illusions durent peu, au théâtre comme dans la vie
.
A la fin du spectacle, M.Goldyn, le directeur de l'A.B.C, après
que Sacha Guitry lui eut parlé à l'oreille,annonça
que les Isola étaient engagés.
- Alors, c'était une audition ?
Une audition qui, grâce au grand coeur de Paris, produisit plus
de cent mille francs de recettes, et qui nous a heureusement prouvé
que les frères Isola avaient encore plus d'un tour dans leur sac
!
R. CARDINNE-PETIT.
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