----- Pluie
de rubans sur les artistes et les gens de lettres, écrivains
ou professeurs.
----Un directeur de théâtre:
l'aîné des deux frères Isola, de
la Gaîté-Lyrique.
Ces
deux derniers sont des figures presque légendaires. Leur histoire
ressemble à un conte de Perrault. Leur père
tenait, à Blida, un petit café où
fréquentaient les prestidigitateurs de passage et les magiciens
du pays. Et c'est ainsi que les frères Isola devinrent sorciers.
Dès leur plus tendre enfance, ils essayaient des tours; ils les
réussissaient, et, à l'âge de onze ans, ils donnèrent,
à une distribution de prix, leur première séance.
Sans contrarier le penchant de ses fils, le tailleur-cafetier estima
qu'un bon métier manuel les mettrait à l'abri des surprises
et des risques de la prestidigitation. Il en fit des menuisiers. A Paris,
ces hommes, qui devaient un jour brûler tant de planches, commencèrent
par en raboter. Ils ne rabotèrent pas longtemps. Un beau soir,
ils se trouvèrent sans travail et sans le sou. Ils durent passer
la nuit à la belle étoile et se contenter de coucher dans
un square sur un banc qui n'était même pas numéroté.
---- C'était dans le square des
Arts-et-Métiers, vis- à-vis de la Gaîté.
J'éprouve ici la tentation de vous raconter le songe qu'ils eurent:
le théâtre resplendissait de lumières, retentissant
de célestes harmonies... Vous devinez la suite. Malheureusement,
ils ne rêvèrent point, cette nuit-là. Aucune fée
ne leur prédit qu'ils dirigeraient, un jour, le théâtre
qui les couvrait de la courtepointe de son ombre.
---- Ils avaient dix-huit et vingt ans;
ils ne désespérèrent pas. Puisque la menuiserie
ne nourrissait pas ces deux hommes, ils allaient demander à la
prestidigitation de se montrer un peu plus alimentaire. Les voilà,
certain matin, chez le sénateur Mauguin, qui
connaissait bien leur père. Les hommes politiques ne dédaignent
pas les cafetiers. Le sénateur écoute avec bienveillance
ses jeunes compatriotes, qui lui exhibent une affiche immense où
on lisait:
-« Les
frères Isola, les premiers prestidigitateurs du monde. Quarante
ans d'expériences. Les
seuls qui aient eu l'honneur de se présenter devant l'empereur
de Russie. »
---- Ces paroles se passaient de commentaires.
Néanmoins, l'un des frères crut utile d'a-
jouter:
— Vous voyez, nous commençons à être connus.
Voilà comme on parle déjà de nous sur les affiches.
Il eût été plus juste de dire:
— Voilà comme nous parlons de nous.
---- M. Mauguin sourit et promit sa protection.
Les frères Isola coururent le monde, engagés dans des
music-halls, tantôt applaudis, tantôt sifflés; ils
acquirent une merveilleuse adresse; tout le monde et tous les mondes
défilèrent dans la petite salle des Capucines où
ils exécutaient des tours de magie. Puis, ils dirigèrent
les Folies-Bergère, l'Olympia. Ils firent fortune.
Maintenant, ils servent le grand art. Ils ont bien gagné leur
bout de ruban. Le cafetier de Blida, s'il vit encore, sera heureux.
L'auteur semble ignorer que leur père
est décédé depuis 9 ans.