Source Gallica
       
             
AMBIANCE LE SAMEDI 17 MAI 1947  
 

LES FRERES ISOLA


       La mort de Vincent Isola ramène l’attention publique sur l’étonnante carrière des deux frères, inséparables dans le labeur pendant plus de soixante ans ; d’abord prestidigitateurs incomparables, puis directeurs, successivement, de dix théâtres ou music-halls, où ils avaient fait fortune ; et qui, finalement, ruinés par suite d’une période de prise, eurent le beau courage, n’ayant plus le sou, après avoir donné 36 millions au droit des pauvres, de reprendre leur premier métier. Le nom des frères Isola, associé à tant d’événements et à tant de succès de théâtre, n’est pas près de s’effacer des annales parisiennes.
                             COMMENT NAIT UNE VOCATION
       Leur père tenait, à Blida, le Café d’Orient. Chaque fois qu’un prestidigitateur faisait une tournée en Algérie, il ne manquait pas de le convier à venir donner à sa clientèle une séance de « physique amusante ». Bartoloméo Bosco, l’un des plus fameux illusionnistes qui précédèrent Robert Houdin dans la carrière, était devenu son ami.
       Or, parmi les sept enfants du père Isola, il en était deux, Emile et Vincent, que l’art de Bosco passionnait. Celui-ci se plaisait à leur enseigner quelques-uns de ses tours, à leur divulguer quelques secrets. Ainsi naquit leur vocation.
                                   LE PHENOMENE AERIEN
         En 1880, ils débarquaient à Paris, légers d’argent, mais bien décidés à se lancer à corps perdu dans la carrière de l’illusionnisme. Cependant, il fallait vivre. Un entrepreneur de menuiserie les employa. Quand ils eurent économisé chacun mille francs, ils tentèrent l’aventure dans une petite salle populaire rue de Lancry. Mais ils avaient trop présumé de leurs talents. La plupart de leurs tours furent ratés, et les deux illusionnistes en herbe durent s’enfuir sous les huées. Cet insuccès les décida à tenter leur chance en province. Ils n’y furent pas plus heureux. Pourtant, ces déboires ne les découragèrent pas ; ils travaillèrent, se perfectionnèrent si bien que, engagés bientôt aux Folies-Bergère, ils virent le succès couronner leurs efforts. Tout Paris voulut voir le Phénomène"aérien, un tour extraordinaire dans lequel ils montraient un sujet s’élevant dans l’air sans aucune espèce de soutien.
                             PRECURSEURS DU CINEMA
           Mais, chose curieuse, c’est au moment où ils réussissent dans la carrière dont ils rêvaient depuis l’enfance qu’ils vont l’abandonner et se lancer dans la profession la plus hasardeuse, celle, de directeurs de théâtre. En 1892, ils prennent la salle des Capucines. Maigres débuts : les recettes oscillent de 45 à 70 francs par jour. C’est peu ; néanmoins, ils persévèrent, et, ‘pour corser leurs présentations, ils inventent un appareil de projections animées. Il s’en est fallu de peu qu’ils ne fussent, avant Lumière, les inventeurs du cinéma. Après les Capucines, ils dirigèrent Parisiana, puis l’Olympia, puis les Folies-Bergère. De ces scènes de pur spectacle, ils passèrent à la direction de nos grands théâtres lyriques et dramatiques. Les plus célèbres artistes furent leurs pensionnaires. Ils donnèrent à Paulus la joie des derniers succès. Ils révélèrent Fragson, firent acclamer Dranem et Yvette Guilbert, Gaby Deslys, la belle Otero. Paris leur dut d’applaudir deux des plus merveilleux chanteurs de l’époque : Chaliapine et Caruso.

 


                         

 

               « MES PHOQUES NE SAVENT PAS CHANTER »
             Il fallait entendre avec quelle verve Vincent Isola, qui vient de mourir, contait naguère les péripéties de cette extraordinaire carrière directoriale. Pour amener à Paris quelque célébrité des scènes étrangères, rien ne leur coûtait. A l’époque où le grand ténor Tamagno commençait à jouir d’une renommée mondiale, les Isola voulurent l’engager pour quelques représentations à la Gaîté-Lyrique. Or, en même temps, ils préparaient un contrat pour l’engagement d’un dresseur de phoques dans un music-hall dont ils assumaient également la direction. Deux télégrammes avaient été préparés, l’un pour le ténor, l’autre pour le possesseur des otaries. Le premier disait : « C’est entendu, mais vous devrez chanter « le Trouvère » et non « Otello » ; le second : « D’accord pour le contrat. Vous aurez vos dix kilos de poissons par jour. » Mais, par une confusion malheureuse, les télégrammes se trompèrent d’adresse. « Mes phoques sont savants, répondit le dresseur, mais ils ne savent pas chanter » ; quant à Tamagno, il se fâcha. « Je n’aime pas ce genre de plaisanterie», déclara-t-il. Et il refusa tout net de venir chanter à Paris.
                                           DERNIER GALA
            Quand vinrent les mauvais jours, quand la chance les abandonna, les frères Isola, bien qu’ils fussent septuagénaires, subirent avec courage ce coup du sort. Us redevinrent prestidigitateurs. Et jamais, peut-être, l’esprit de solidarité qui anime les artistes ne se manifesta de façon plus émouvante que ce jour-là. Sur la scène d’un music-hall, ils parurent au milieu des vedettes qui, pour la plupart, avaient été parmi leurs pensionnaires et demeuraient leurs amis. Sacha Guitry avait organisé le gala. Les plus célèbres artistes étaient au programme. La salle était pleine de tous les Parisiens amateurs de beaux spectacles qui savaient tout ce qu’ils devaient aux Isola.
          Et la carrière des deux frères s’acheva dans une apothéose.

   
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           La fidélité, rare vertu... Ensuite les assistants se rendirent à la S.A.C.E.M., rue Henner, où la cérémonie du souvenir se renouvela. Puis, on s’égailla en causant.
          Dans un groupe, on épiloguait sur la fidélité aux morts.
        
— Il est bien rare, dit un sceptique, qu’on se dérange pour les morts, lorsqu'il n’y a plus aucune utilité à le faire. Vous rappelez-vous les obsèques de Mme Isola ? Il y avait dix mille personnes.
         — Oui. Les Isola étaient alors en pleine activité, directeurs de l’Opéra-comique.        
         — Mais, aux obsèques de ces mêmes frères Isola, morts ruinés et n’ayant plus de situation, nous étions dix.
        — Et, à 1’enterrement de Max Dearly nous n’étions pas beaucoup plus.