LA JUIVE À LA GÂITÉ

       Les frères Isola sont « l’homme du jour ».
       Il n’y a pas un journal parisien où leur nom ne soit mêlé au moins une fois par jour à une nouvelle théâtrale. Il n’y a pas un théâtre ou un music-hall donnant une revuette ou revue, qui n’exhibe plus ou moins spirituellement deux frères Isola. Les uns sont assez ressemblants, les autres sont faits chics, mais ce sont toujours des frères Isola.
      Une seule chose aurait pu sauver de cette popularité c’est une terminaison de nom anti-euphonique, une terminaison sans jumelle dans le dictionnaire des rimes.
       Mais les frères Isola ont décidément toutes les veines ! Il y a des gens dont le nom ne rime à rien, le leur rime à tout – ou du moins à beaucoup de choses. « Isola » ! vous pensez si les couplets ont dû jaillir avec une dangereuse facilité sous la plume des revuistes !


Voyez par-ci, voyez par-là
 Les Isoli, les Isola !
Les prodigueurs de grands galas,
De mise en scène à falbalas !
Ce sont des enchanteurs, oui- da,
Des enchanteurs nés à Blida,
Dont la splendeur émerveille
D’abord Paris à l’Olympia,
Puis dont...


        Il n’y a pas de raison pour que cela finisse.

       Les Isola ont d’ailleurs tout fait depuis longtemps pour attirer le public, et la résurrection du théâtre public somptueux n’est pas la moindre de leurs titres à une admission dans la chanson du café-concert.
        Comme vous savez, ces deux parisiens sont natifs d’Algérie. Ils ont non seulement une certaine ressemblance physique avec les fils du désert, mais ils en ont aussi les goûts.
Les frères Isola sont essentiellement nomades. C’est la seule raison qui leur a fait acquérir trois théâtres aux trois coins de Paris. Ils ne peuvent pas tenir en place, ils ont la nostalgie des grands espaces et s’ils n’avaient pas peur de se faire remarquer un peu plus, ils courraient certainement d’une répétition à l’autre à dos de méhari.
          Quelque chose, par exemple, doit chiffonner les frères Isola, c’est que dans aucun de leurs théâtres ils ne trouvent l’impression du désert. Dame, un désert où on refuserait du monde, ça serait plutôt une anomalie géographique…
        Par exemple, les frères Isola peuvent bénir le ciel d’être nés Français-Algériens, c'est-à-dire contemplatifs, patients, visionnaires, et surtout persuadés de l’existence d’un paradis de Mahomet… C’est grâce à cette dernière circonstance qu’ils doivent évoquer des spectacles paradisiaques profanes et de savoir faire de leurs établissements des séjours agréables…
        Vous vous dites sans doute : mais au fait pourquoi nous raconte-il tout cela à propos de la reprise de la Juive à la Gaîté ?
       Eh bien , c’est tout simplement pour ne pas vous répéter toujours le refrain qui s’impose plus que jamais à l’occasion de cette trop belle représentation : C’est parfaitement monté, les décors sont superbes, les costumes magnifiques …
        Décidément, Iso-Allah est Dieu et Luigini est son prophète...

                                                                                                 Un monsieur de l’Orchestre